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vendredi 9 novembre 2012

UN AÉROPORT EN VERT ET CONTRE TOUT : 40 ANS DE LUTTE À NOTRE-DAME-DES-LANDES (Jacinte Grenier)

Je remercie Rem*, qui m'a retransmis ce document assez long mais exemplaire de la lutte bientôt cinquantenaire contre ce *#$£&¤* projet d'aéroport.

On ne lâche rien !

De :
Jacinte Grenier
Journalisme/Reportage-Photos
06 34 95 04 84

à partager sans modération !


UN AÉROPORT EN VERT ET CONTRE TOUT : 40 ANS DE LUTTE À NOTRE-DAME-DES-LANDES
On ne peut réellement comprendre ce qui se passe actuellement à Notre-Dame-des-Landes (tant au niveau du projet que des résistances qu’il suscite) sans plonger dans l’histoire mouvementée de ce méga-projet, lancé dans les années 1970. Les aminches de la revue Z s’y étaient attelés dans leur numéro de l’automne 2010. Leur reportage sur place reste plus que jamais d’actualité.
Le texte suivant a été publié dans la revue Z n°4 parue en automne 20101. Le numéro de 176 pages, consacré à Nantes, aux impostures du développement durable et à l’écologie politique est toujours disponible sur commande en envoyant un mail à : contact@zite.fr.
«  Le dossier de l’Aéroport international Ouest-Atlantique “Rotterdam aérien”, projeté sur le territoire de la commune de Notre-Dame-des-Landes, mérite d’être ouvert, parce qu’à travers lui, se trouvent mis en évidence le circuit habituel des décisions qui nous aménagent, la légèreté avec laquelle on programme notre avenir, la brutalité, consciente ou inconsciente, d’une Administration qui descend “sur le tas” pour dire en substance  : “Dégage, on aménage.” Raconter comment naît un projet d’équipement et comment on l’impose aux populations locales, c’est voir à l’œuvre le fonctionnement de notre démocratie.  » (J. De Legge et R. Le Guen, Dégage  !... On aménage, Le Cercle d’Or, 1976)


À une vingtaine de kilomètres au nord de Nantes, sur la départementale qui mène au bourg de Notre-Dame-des-Landes, en bordure de route, dans les arbres et devant les maisons, des panneaux de bois affichent tous un simple et ferme «  Non à l’aéroport  !   ». Ce message en rappelle d’autres, aperçus ici et là, aux quatre coins de la France  : «  Non à la THT 2  » dans les Pyrénées Orientales, «  Stop L’EPR 3  !  » aux abords de Cherbourg, «  Stop ITER 4   » en Provence ou encore «  Non à l’enfouissement des déchets radioactifs  » à Fougères, à Bar-le-Duc, ou à Saint-Dizier. C’est à chaque fois le même mélange de stupeur et de colère  : un projet conçu dans de lointains bureaux vient bouleverser un monde, ses habitants, leur mode de vie, leurs liens et défigurer un territoire pour un développement dont on ne sait plus très bien à qui il profite.
Ici, dans ce pays de bocages encore préservé de l’urbanisation galopante de la région, c’est un projet d’aéroport international, vieux de quarante ans, qui vient chasser des dizaines d’habitants, une centaine de paysans, et offrir près de 2000 hectares de terres agricoles au tarmac. Il faut un certain effort d’imagination pour se représenter un aéroport, ses dessertes routières, ses ronds-points, ses hôtels et toutes les infrastructures qui l’accompagnent, à la place des petites parcelles de terre séparées de talus arborés, des langues de landes restées en friche et des troupeaux de vaches laitières. Le bon sens est encore davantage heurté lorsqu’on apprend que la ville de Nantes, administrée par Jean-Marc Ayrault, maire et député PS, dispose déjà d’un aéroport. Comment alors justifier un tel projet  ?
En fait, les arguments ont changé avec le temps  : sécurité, environnement, coût, besoin face à l’affluence, standing, tourisme… Certains disparaissent, d’autres apparaissent selon la période politique ou la mode du moment. «  Au début, il fallait absolument construire cet aéroport pour pouvoir accueillir le Concorde. Puis pour délester les aéroports parisiens. Puis parce que l’aéroport de Nantes était saturé. Et aujourd’hui pour d’impératives raisons de sécurité  !   », explique Claude Colas de l’Acipa (Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport).
Face au travail de contre-expertise des opposants au projet, les promoteurs ont dû adapter leur discours. Aujourd’hui, deux arguments principaux sont mis en avant. Nantes-Atlantique, situé au sud de la ville, serait proche de la saturation. Une justification étonnante lorsqu’on apprend que l’aéroport de Genève, par exemple, qui dispose d’une seule piste de 340 hectares, accueille chaque année 10 millions de passagers. Alors que seulement 2,8 millions de personnes utilisent l’aéroport de Nantes-Atlantique... Autre argument  : le survol de l’agglomération, en plus de générer des nuisances sonores, serait un véritable danger. À ce problème, les associations opposées au projet proposent un remède  : une piste perpendiculaire à la précédente. Mais cela n’est pas assez beau, pas assez grand, pas assez puissant pour une élite locale gagnée par le même enthousiasme bétonneur. Son rêve  ? Un nouvel aéroport, garantit HQE (Haute Qualité environnementale), qui permettrait de redessiner une grande mégalopole Rennes-Nantes-Saint-Nazaire, attirer de nouveaux emplois, de nouveaux investisseurs et permettre ainsi le développement de la région.
Loin de se laisser séduire par les sirènes du développement, à Notre-Dame-des-Landes et ses alentours on se sent plutôt agressé par ce grand projet que tentent d’imposer, depuis les années 1970, quelques experts de l’aménagement. C’est en achetant le journal au café-tabac que les habitants des communes concernées, voient, un beau matin de mai 1970, un gros titre annoncer  : «  La métropole Nantes – Saint-Nazaire pourrait devenir le Rotterdam aérien de l’Europe par la création d’un aéroport international de fret au nord de la Loire.   » Loin des petits clochers du pays nantais, au cœur d’un nouvel organisme au nom prometteur, la Datar (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale) 5, fleurissent des spécialistes qui pensent l’avenir du territoire.


1972  : LES MAIRES VOTENT EN FAVEUR DU PROJET
À Notre-Dame-des-Landes, comme sur l’ensemble du territoire, chacun se voit transformer en pion à déplacer, et chaque prairie en objet à aménager ou à organiser. L’enjeu affiché, sur fond de la «  politique de décentralisation  », est de développer les villes de province pour endiguer les migrations vers la capitale. Des tensions sociales commencent à poindre depuis les années 1960 avec «  l’accumulation des hommes et des choses 6  » à Paris. Pour les entreprises, l’augmentation du nombre d’habitants et les tensions qui s’ensuivent se traduisent «  par l’élévation des coûts de fonctionnement et des coûts de production et de commercialisation... 7   » La nécessité de créer «  des grandes métropoles d’équilibre8   » offrant des coûts de production plus bas et des infrastructures efficaces prend un caractère impérieux face aux attentes des entreprises. À ce titre, le transfert de Nantes-Atlantique à Notre-Dame-des-Landes apparaît comme un projet d’avenir. Développement industriel et commercial, création d’emploi, prestige  : avec ce nouvel aéroport, Nantes a tout pour devenir une de ces grandes métropoles.
Sur place, ne pressentant rien de bon dans ces plans mirifiques, les paysans s’organisent. En 1972, ils fondent l’Adeca (Association des exploitants concernés par l’aéroport). «  On ne voyait pas pourquoi faire un aéroport, rappelle Michel Tarin, paysan retraité installé à Vigneux, une des cinq communes visées par le projet. On le refusait en tant que tel, comme projet d’aménagement et de développement, mais aussi parce qu’il s’imposait à nous sans que notre avis n’ait jamais été sollicité,et qu’il menaçait notre outil de travail  : la terre. On nous a traités d’arriérés, mais c’est une insulte dont on a l’habitude lorsqu’on est paysan...  » Les arriérés en question ont alors une certaine idée de leur métier et, au-delà, de la société à laquelle ils aspirent.
Forts d’une tradition de lutte syndicale ouvrière et paysanne en Loire-Atlantique, les paysans de Notre-Dame-des-Landes et des autres communes ne comptent pas se laisser «  aménager  » si facilement. «  Dès mes 14 ans, comme tous les jeunes d’ici, j’étais à la JAC (Jeunesse agricole chrétienne) du canton, puis j’ai participé à la création de “Paysans en lutte”, après avoir rencontré Bernard Lambert 9. Un peu plus tard, en 1967, en parallèle des réflexions qu’on menait sur le monde paysan, on est allé soutenir les ouvriers grévistes de la navale en leur apportant du lait et des patates. On était très actif en 1968, et autant dire que quand il a fallu s’organiser contre l’aéroport, on était prêt  !   » N’en déplaise aux habitants bien remontés, les élus des cinq communes concernées (Notre-Dame-des-Landes, Héric, Vigneux, Grandchamps et Trellières), convaincus du bien-fondé de l’aéroport et de ses retombées pour leurs localités, votent, en septembre 1972, la poursuite du projet. «  Les maires s’imaginaient ce qu’on leur disait  : tout le monde allait avoir du travail, on pourrait aller à New York sans problème, de nouveaux habitants s’installeraient, et puis, à l’époque, on sortait de cette période d’après-guerre où les gens avaient besoin de rêver, se souvient avec indulgence Michel Tarin. On venait d’avoir l’eau courante dans les maisons, les gens n’avaient pas encore de frigo... L’aéroport, c’était le summum. Mais le problème, c’était les paysans. On avait bien compris que l’aéroport signifiait notre mort, et les créateurs de ce projet n’avaient pas pensé qu’on s’opposerait.  » [Voir ci-dessous, encadré 1  : «  Une tradition de luttes paysannes  ».]


DES PAYSANS EN LUTTE CONTRE L’AÉROPORT
En janvier 1974, le préfet de Loire-Atlantique publie un arrêté transformant champs et maisons en zone d’aménagement différé (ZAD). Commence alors le lent grignotage du Conseil général, qui préempte dès que l’occasion se présente. Dégagés par le mouvement Paysans-Travailleurs, une émanation de Paysans en lutte, trois objectifs mobilisent alors les syndicalistes  : placer le droit d’exploiter avant le droit de propriété, installer des jeunes paysans, promouvoir le contrôle et la gestion collective des terres. À Notre-Dame-des-Landes comme ailleurs, les paysans doivent résister aux pressions croissantes de l’urbanisation, de la course à la productivité et à l’endettement. Sur la ZAD, la détermination à occuper le terrain porte ses fruits  : la moyenne d’âge des exploitants est la plus jeune de tout le département et l’organisation collective se concrétise, notamment à travers la mise en place de plusieurs GAEC (Groupements agricoles d’exploitation en commun). Une première victoire.
Plus conjoncturelle, une seconde victoire se dessine  : dès 1974, les répercussions du premier choc pétrolier éprouvent l’économie nationale et font battre de l’aile aux grands projets d’aménagements. Le décret de ZAD est renouvelé une fois pour sept ans, en 1981, mais, avec le second choc pétrolier de 1979, la menace se fait de plus en plus lointaine. «  À l’échéance du deuxième décret de ZAD, en 1988, plus personne ne croit à cet aéroport, se souvient Julien Durand, retraité agricole, ancien Paysan-Travailleur et militant de la Confédération paysanne. On aurait dû, à ce moment-là, demander aux maires des cinq communes de retirer leur accord, mais on pensait être définitivement débarrassé de ce projet.  »
Une décennie s’écoule tranquillement, sans la menace du nouvel aéroport. Mais en 2000, le Premier ministre, Lionel Jospin, invoque de nouveau la nécessité d’un troisième aéroport d’envergure internationale en France, et, tout particulièrement, d’une infrastructure permettant de relier Paris à New York. Pas question ceci dit de l’implanter à proximité de la capitale... Jean-Marc Ayrault voit alors l’opportunité qui s’offre à lui  : c’est le moment de déterrer le projet de Notre-Dame-des-Landes et de relier la Loire-Atlantique au Nouveau Monde.


2000  : RELANCE DU PROJET
Il ne faudra pas longtemps aux habitants des communes concernées pour réagir. Mais le monde paysan des années 1970 a changé. On ne parle plus de Paysans-Travailleurs, mais d’exploitants agricoles  ; on ne pense plus en termes de convergence des luttes, mais de débat citoyen. Pourtant, le refus de se laisser chasser pour un projet d’aéroport reste bien ancré. L’Adeca, seule association jusque-là, ne suffit plus  : «  Beaucoup de paysans sont partis en retraite sans être remplacés et des nouveaux habitants se sont installés, explique Julien Durand. La première association créée en 1972 ne regroupait que des exploitants, mais la lutte ne pouvait plus se faire seulement autour du monde agricole, elle devait aussi accueillir le débat citoyen. On a donc fondé l’Acipa.  » Soucieuse de rallier les nouveaux arrivants et misant sur le dialogue, l’Acipa, appuyée par d’autres associations d’opposition, sollicite un débat public. Son vœu est exaucé en 2003.
À grand renfort d’experts, de chiffres, de graphiques et de fascicules bien ficelés, la Commission nationale du débat public (CNDP 10) descend sur le terrain. Les invités  : des représentants de la Chambre de commerce et de l’industrie, de l’Aviation civile, de la Chambre d’agriculture, et du Conseil général. Malgré ces hôtes de marque clairement favorables, pour ne pas dire moteurs du projet, une bonne partie des habitants et des associations pense pouvoir faire remonter ses contre-arguments en haut lieu et ainsi infléchir la décision de créer un nouvel aéroport. «  Comme tout un chacun ici, on a participé au débat public pour faire entendre notre opposition, raconte Sylvie Thébault, éleveuse installée à Notre-Dame-des-Landes depuis 1999. J’ai fait une contribution au nom de mon syndicat agricole — je suis à la Confédération paysanne, seul syndicat agricole à s’être prononcé contre l’aéroport. Après coup, on a vécu ce débat comme une grosse entourloupe. C’était un des premiers débats publics nationaux... Maintenant, on voit que c’était une vraie mascarade. C’est honteux de laisser croire au citoyen qu’il a un droit de parole alors que tout est déjà décidé.   » Effectivement, en matière d’entourloupe, la CNDP sait y faire. À l’issue de six mois de consultation dans tout le Grand-Ouest, où de nombreuses interventions hostiles au projet n’ont pas manqué de se manifester, la conclusion publiée est sans appel  : il faut un aéroport à Notre-Dame-des-Landes.
Après le débat public de 2003 s’ouvre une phase d’études qui conduit à une enquête publique à l’automne 2006. Les maires ne fermeront pas leurs bureaux aux commissaires comme l’avait fait quelques années auparavant celui de Plogoff, Jean-Marie Kerloc’h. 35 permanences tenues par la commission  ; 16 550 observations, lettres et pétitions recueillies, dont deux tiers sont clairement défavorables. Indifférente à ces signaux et fidèle à sa fonction, la Commission d’enquête émet un avis favorable le 13 avril 2007 et le Conseil d’État reconnait le caractère d’utilité publique du projet le 9 février 2008. Le Grenelle de l’environnement, qui avait pourtant annoncé le gel de toute nouvelle construction aéroportuaire, n’hésite pas à confirmer de son côté la compatibilité du transfert de l’aéroport de Nantes vers Notre-Dames-des-Landes avec les objectifs de développement durable puisque celui-ci sera garanti HQE  !
La disparition de 2000 hectares de bocage, l’épuisement des énergies fossiles, la baisse de 4% du trafic de l’aéroport de Nantes-Atlantique l’an dernier, rien ne fait rougir les nouveaux chantres du développement durable. Interrogé par un journaliste de Ouest-France sur le pic de production pétrolière et la pertinence de construire de nouveaux aéroports dans ces conditions, Philippe Ayoun, sous-directeur des études, des statistiques et de la prospective à la Direction générale de l’aviation civile répondait  : «  Je ne suis pas un spécialiste du pétrole, mais l’Agence internationale de l’énergie ne voit pas de pic pétrolier avant 2040 grâce au développement de nouveaux gisements. Les prix vont se renchérir, ce qui va forcer les compagnies à faire des économies et à recourir davantage aux carburants de substitution, ceux de la deuxième génération fabriqués à partir de biomasse. Ils pourraient représenter au moins 10 % du carburant utilisé.   » Le pétrole s’épuise  ? Les agrocarburants sont là pour assurer l’avenir des low-costs et autres déplacements de haute nécessité. Les défenseurs du projet n’éprouvent aucun scrupule à condamner des régions entières à la monoculture d’agrocarburants.
Pour Françoise Verchère, ancienne maire de Bouguenais et militante du Front de Gauche, à qui l’opposition au transfert de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes a coûté sa place au Conseil général  : «  L’insistance des politiques à vouloir donner jour à ce projet relève de l’incantation au développement. C’est cette idée que l’organe crée la fonction  : en créant une infrastructure, le développement va suivre. Les politiques sont aujourd’hui encore sur le modèle de croissance des Trente Glorieuses sans prendre en compte la finitude de la planète, la finitude des matières fossiles, à une époque où on ne paie pas les ressources premières à leur coût réel de matière non-renouvelable, sans compter qu’on les pique aux autres  ! Ils sont non seulement dans le culte du progrès, mais aussi dans l’idée qu’il y aura toujours une solution technique à tout. Il n’y a plus de kérosène  ? Il y aura des agro-carburants  ! C’est pour ça que le capitalisme vert a de très beaux jours devant lui. Il y a beaucoup de gens qui pensent qu’en achetant des yaourts bio et en faisant du bio-carburants, on va continuer à vivre selon modèle dominant d’aujourd’hui, et qu’on s’en sortira.   » À Notre-Dame-des-Landes, l’écologie de façade ne trompe personne. Ce n’est pas qu’on soit particulièrement partisan d’une écologie radicale (sur la ZAD, tous les paysans fonctionnent en agriculture conventionnelle, seul un est en bio), mais on perçoit l’escroquerie d’un discours qui ne fait que s’adapter à l’air du temps.


ÉLARGIR LA RÉSISTANCE
Avec le coup de théâtre du Grenelle de l’environnement, un des derniers remparts institutionnels contre le projet s’effondre. Devant l’urgence de la situation, les associations montent au créneau. Si la majorité des opposants à l’aéroport, rejointe depuis peu par un «  collectif d’élus qui doutent de la pertinence du projet  », reste avant tout soucieuse de respecter la loi et de ne pas prendre trop de risques, elle a le mérite de rester tenace  : présence pacifique aux moments des forages, réunions régulières et fabrication de matériel d’information au lieu-dit «  La Vache rit  », un bâtiment mis à disposition par un paysan de Notre-Dame-des-Landes  ; tenue d’une «  vigie  » qui consiste à interpeller silencieusement les conseillers généraux et les habitants de Nantes, pique-nique estival pour rassembler les différents soutiens, etc. De son côté, s’écartant des méthodes classiques de protestation, l’Acipa, qui compte parmi ses rangs quelques anciens Paysans-Travailleurs, lance un appel à occuper les maisons. Mais c’est justement dans les milieux où l’on serait susceptible de répondre à un tel appel que l’Acipa est la moins influente. «  Les informations ne circulaient pas très bien à Nantes. Pour nous, c’était surtout une lutte de riverains qui voulaient préserver leur environnement et rien de plus, se souvient Yann habitant sur la ZAD depuis plus de deux ans. Jusqu’à ce qu’on en entende un peu plus parler au jardin collectif de Couëron. On a su qu’il y avait un appel à venir occuper des maisons vides, mais qu’il n’y avait pas de candidat. On est venu au pique-nique du mois de juillet et on a rencontré des gens proches de l’Acipa qui nous ont indiqué les maisons vides et on a décidé de rester.  » L’information a beau circuler, les nouveaux arrivants se font attendre.
C’est avec les premiers travaux de forage que la résistance à l’aéroport prend une nouvelle dimension. Jusque-là, les opposants étaient surtout des habitants concernés par l’aéroport. Avec les premiers forages, début 2009, la lutte s’élargit et reçoit de nouveaux soutiens. Rodolphe fait partie de ceux-là  : «  La manière dont ce projet est mené, en l’absence totale d’une prise en considération des premiers concernés, m’a donné envie de mener cette lutte avec les habitants directement touchés par l’aéroport, explique-t-il. Si j’ai eu envie de lutter contre ce projet, c’est aussi pour tout ce qu’il représente. Ce n’est pas juste un aéroport qui est en jeu, mais la politique du capitalisme qui est à l’œuvre, ici, avec sa façon de diviser les gens dans leurs vies, de cloisonner tout le social que peut générer une vie dans le monde rural au profit de quelques-uns... La parole des gens est oblitérée, malgré les débats publics et les protestations. Pourtant, les gens sont capables de raisonner, de décider pour leur vie, d’avoir des projets d’avenir pour leurs territoires, et on ne peut pas décider pour eux.   »
En janvier 2009, ils sont une bonne centaine à vouloir empêcher la foreuse d’effectuer les premiers sondages. Face à eux, au moins autant de gardes mobiles et de camions de l’armée protégeant la foreuse, des barrages routiers pour contrôler les automobilistes et un hélicoptère pour quadriller la zone. Marie Jarnoux, habitante de Notre-Dame-des-Landes et membre du collectif des «  Habitants qui résistent  », n’avait jamais vu un tel déploiement de forces  : «  Ma maison fait partie de celles qui sont visées par le projet. On compte rester, résister le plus possible, mais on a beau s’opposer à ce projet, c’est dur de se confronter à l’armée...  » D’autres, plus enclins à l’action directe, tentent de s’interposer physiquement  : «  On ne peut pas se contenter d’une présence symbolique, proteste une nouvelle habitante de la ZAD. Laisser les forages se faire, c’est laisser le projet d’aéroport se concrétiser  ! Il ne faut pas attendre les premières coulées de béton pour s’opposer.   » En avril 2009, convaincus de la nécessité d’agir, un paysan et un manifestant sont arrêtés pour «  vol de terre   », «  bris de matériel  » et «  refus de prélèvement ADN  ». Ils ont dispersé et mélangé les échantillons de terre prélevés par la foreuse. Deux mois de prison avec sursis pour les faits et deux mois avec sursis pour refus d’ADN… Face à la répression, le fossé aurait pu se creuser entre les partisans des différentes stratégies, mais les associations ont alors soutenu les deux inculpés, notamment en prenant en charge les frais de justice.
Pour tenter d’élargir encore la mobilisation, une «  Semaine des résistances  » est organisée, en août 2009, sur la commune de Notre-Dame-des-Landes. Parallèlement se tient aussi le premier Camp Action Climat français. Une semaine de discussion, de fonctionnement en autogestion et d’actions à l’issue de laquelle un appel à venir occuper les terres et les maisons est lancé. Suivi par plusieurs personnes, il donnera lieu à la réouverture de maisons inhabitées depuis la préemption du Conseil général. Des bouts de terrain commencent à être défrichés et des potagers prospèrent çà et là
APPEL À OCCUPER LES MAISONS
Au cœur de la ZAD, dans une des maisons récemment ouvertes, deux jeunes habitants grattent la terre avec Marie-Thérèse, leur voisine septuagénaire. Elle qui regardait d’un œil inquiet l’installation de squatters dans la maison mitoyenne à la sienne, la voici finalement charmée par de nouveaux voisins qui ne manquent pas une occasion de lui rendre service. Un échange de bons procédés parmi d’autres  : ils binent son potager tandis qu’elle sème des graines, en leur expliquant comment tel ou tel légume se cultive. Un peu plus loin, d’autres occupants ont lancé un potager avec des habitants qui résistent. «  On fait aussi un élevage de poulets en commun et, une fois par an, on tue trois cochons pour en faire du pâté. On est quasiment autonomes en terme de consommation de viande et avec le potager, on n’achète jamais de légumes  », explique Agathe. À quelques prairies de là, un paysan a concédé un bout de ses terres pour que soient plantées des pommes de terre qui serviront pour l’hiver prochain. Au-delà de permettre de subvenir à des besoins élémentaires, toutes ces activités créent un commun qui n’est pas toujours imaginé au départ. «  Il y a du plaisir à savoir qu’on va se nourrir en partie de ce qu’on cultive, mais le potager ou les autres activités “alimentaires” créent d’autres choses que l’autonomie  : des rencontres qui ne seraient pas forcément faites sans ça, des relations d’affection et aussi un attachement à la terre   », poursuit Yann.
Petit à petit, c’est tout un réseau de solidarité qui se tisse. Mais la rencontre de ces deux mondes ne se fait pas sans heurts. Dans le bourg de Notre-Dame-des-Landes, les jugements à l’emporte-pièce vont bon train. Il faut une certaine persévérance pour se faire sa place. «  Ce qui se joue ici, c’est le coup de main pratique sur les chantiers, reconnaît Yann. À ce moment-là, tu discutes de choses techniques, comme des travaux de la maison, des trucs autour du jardin. On n’est pas dans des grandes idées, mais on fait des choses ensemble. On s’est fait respecter parce qu’on a beaucoup participé aux chantiers comme couper du bois ou déblayer un accès à un champ, et parce qu’on a fait nos preuves avec le jardin. C’est pas étonnant qu’il y ait de la méfiance vis-à-vis des nouveaux arrivants, ils en ont tellement vu, des gens, depuis les années 1970 qui disaient vouloir s’installer et qui sont repartis  ! Mais c’est quand même triste tous ces préjugés, et c’est vraiment pénible de sentir qu’il faut “mériter” d’habiter sur la ZAD pour être bien vu des gens du coin.   » Comme au Larzac, à Plogoff où dans d’autres luttes mettant en présence des habitants ancrés de longue date et des nouveaux considérés comme «  hors-sol  », la rencontre prend du temps. D’autant plus lorsque les nouveaux arrivants critiquent ouvertement l’agriculture conventionnelle, pour ne pas dire intensive, aspirent à une vie en dehors du salariat et rejettent les formes d’organisation hiérarchisées. Mais comme le dit Julien Durand, un paysan retraité de la ZAD qui tente de créer des ponts entre ces deux mondes  : «  Avec un peu de patience, les choses vont se faire. Il faut du temps pour qu’on s’apprivoise, et c’est à chacun de faire un pas vers l’autre. Sans ça, on ne gagnera pas  !   » Au-delà des différences culturelles, les uns et les autres sentent bien que l’issue de cette lutte dépend aussi de la capacité de chacun à nouer des relations, sachant que la confiance mutuelle est la condition sine qua non de pratiques solidaires pour faire front à ce projet qui, ici comme ailleurs, s’inscrit dans un modèle de développement qui n’en finit plus de démontrer sa capacité de nuisance.


ENCADRÉ 1 /// UNE TRADITION DE LUTTES PAYSANNES
Dans ce coin de Loire-Atlantique comme dans l’ensemble du pays, le monde paysan est mis à mal par de profonds changements. Le mouvement contre l’extension du camp militaire du Larzac qui débute alors témoigne des mutations en cours. En août 1973, devant près de 80 000 personnes réunies sur le plateau, Bernard Lambert, leader des Paysans-Travailleurs venu de Loire-Atlantique, s’écrie  : «  Jamais plus les paysans ne seront des Versaillais. C’est pourquoi nous sommes ici pour fêter le mariage des Lip11 et du Larzac.  » Ce premier grand rassemblement de soutien aux paysans du Larzac avait été appelé par le tout petit et nouveau mouvement des Paysans-Travailleurs. Constitué en opposition à la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), syndicat «  unique  » dont les principaux dirigeants ont été actifs au sein de la Corporation paysanne sous le régime de Vichy, ainsi qu’à sa section «  jeunes  », le CNJA (Centre national des jeunes agriculteurs), Paysans-Travailleurs affirma d’emblée son ambition de replacer les questions agricoles et rurales dans le contexte plus large des luttes sociales de l’ensemble de la société. Face au projet d’aéroport, les mêmes convictions se font jour. Plusieurs paysans installés à Notre-Dame-des-Landes, mais aussi dans d’autres communes plus lointaines comme celle de Couëron, ont participé à Mai-68, à la création de «  Paysans en lutte  », puis à celle de Paysans-Travailleurs, et continuent à soutenir les ouvriers grévistes des usines nantaises dans les années qui suivent. Au-delà du refus d’abandonner les terres aux promoteurs de l’aéroport qui misent sur la désertification progressive de la zone, ces jeunes paysans croient alors à la possibilité d’une profonde transformation sociale, qui passerait par une collectivisation des terres et une unité entre monde ouvrier et monde agricole.


ENCADRÉ 2 /// PLOGOFF  : UNE VICTOIRE POPULAIRE
Plogoff, février 1980  : toute une population refuse l’installation d’une centrale nucléaire à quelques encablures de la Pointe du Raz, face à l’île de Sein. La Bretagne, mazoutée deux années plus tôt par l’Amoco Cadiz, refuse ce projet de centrale nucléaire. Les Bretons avaient déjà démontré leur détermination contre l’implantation d’une centrale à Erdeven, à Saint Jean-du-Doigt et à Ploumoguer à la fin des années 1970. «  À Plogoff, EDF et l’État s’attendaient à ce que les gens acceptent la centrale, car il y avait beaucoup de retraités, d’anciens militaires, des marins de commerce et des femmes  », explique Nicole Le Garrec, réalisatrice du film documentaire Des pierres contre des fusils. C’était sans compter l’attachement à un mode de vie, à une terre et sans la volonté des habitants de décider eux-mêmes de leur avenir. En 1976 déjà, les ingénieurs d’EDF sont empêchés de sonder des terrains qui pourraient accueillir une centrale sur la commune de Plogoff. Dans les années qui suivent, les CLIN, les comités locaux d’information nucléaire qui se sont montés un peu partout dans le pays, sont de plus en plus fréquentés et, pour sauver le Cap, on invite les militants à acquérir des parcelles afin d’y implanter une bergerie. Le 30 janvier 1980, à la veille du démarrage de l’enquête publique, Jean-Marie Kerloc’h et Pierre Guével, maires de la petite commune de Plogoff et de celle de Primelin, prennent les devants. Estimant que les autorités ne tiendront de toute manière pas compte des avis de la population, ils décident de brûler le dossier de synthèse que le préfet leur avait adressé courant décembre, et de fermer la mairie à l’enquête publique. Commence alors une «  occupation militaire  » de Plogoff et du Cap Sizun qui se confronte à une résistance spontanée mais tenace de la population soutenue par la multitude des comités antinucléaires bretons.
«  À Plogoff, on n’avait pas une culture militante, mais on n’avait pas l’habitude de courber l’échine, se souvient Nicole Le Garrec. On aimait la vie qu’on avait, parce qu’on avait une certaine autonomie, ce qui n’était pas le cas des régions plus industrialisées, on avait des potagers et des formes d’échanges très liés à un mode de vie rural. On n’était pas riches, mais on n’était pas pauvres non plus. On avait suffisamment la tête hors de l’eau pour faire des choix.   »
Sans hésitation, le choix est fait de tout faire pour repousser ce projet. Dès lors, les habitants s’organisent  : des barricades de carcasses de voitures, de pierres et d’ordures ménagères se dressent un peu partout sur les routes contre les gardes mobiles arrivés en nombre. Mais la résistance prend aussi la forme du harcèlement moral. Les femmes se relaient pour tenir tête aux gendarmes, aux CRS et aux Paras tout juste revenus du Liban... Pendant quarante-cinq jours, les commissaires-enquêteurs doivent assumer leur fonction dans des camionnettes rebaptisées «  mairies annexes  ». Les arrestations se succèdent. Plusieurs manifestants sont traduits devant le tribunal de Quimper. L’un des avocats, Maître Choucq, est même condamné à dix jours de suspension.
Mais ni le déploiement militaire ni la répression ne font taire les femmes et les hommes de Plogoff, qui restent déterminés à ne pas abandonner leurs terres au projet de centrale nucléaire. Devenue très populaire, leur lutte reçoit des soutiens de toute la France. Le 16 mars 1980, 50 000 personnes manifestent à l’occasion de la clôture de l’enquête d’utilité publique. Quelques semaines plus tard, la mobilisation n’a pas faibli. Plus de 100 000 manifestants fêtent la fin de la procédure, le 24 mai 1980. Un an plus tard, le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu président de la République et le nouveau gouvernement socialiste décide l’abandon du projet. Plogoff a gagné.


ENCADRÉ 3 /// ATENCO, PISTE DE RÉSISTANCE
Pendant son itinérance à Nantes, Z a participé à l’organisation d’une soirée discussion-projection sur la place de l’église de Notre-Dame-des-Landes. À la nuit tombée, un film a retracé l’histoire de la lutte à Atenco.
Le 22 octobre 2001, le gouvernement fédéral mexicain décrète l’expropriation de 11 500 hectares à San Salvador d’Atenco pour la construction du nouvel aéroport international, violant ainsi les droits naturels et sociaux des communautés vivant sur les berges de l’ancienne lagune de Texcoco, à 40 kilomètres à l’est de la capitale. Les peuples indigènes concernés, semi-ruraux, s’organisent rapidement en Front des peuples en défense de la terre (FPDT). Ils revendiquent des racines plus anciennes que la constitution de l’État mexicain  : «  Nos ancêtres furent vaincus, soumis à l’esclavage et dépossédés de nos territoires lors de la conquête coloniale espagnole. Jusqu’en 1910, où la révolution mexicaine, impulsée par Emiliano Zapata, vit le soulèvement des communes sous les bannières de “Terre et liberté” et “La terre à ceux qui la travaillent ”. Le triomphe de la Révolution permit de récupérer ces territoires. C’est alors que fut réalisée la distribution de terre aux peuples indigènes sous la forme agraire d’“ejido” – qui établit que les terres sont communautaires, servent exclusivement à l’agriculture, qu’elles sont invendables et qu’on peut les enlever à ceux qui ne les travaillent pas.   »
Le FPDT rejette «  un progrès qui n’apporte que pauvreté au plus grand nombre, qui nie notre identité, qui se nourrit de l’expulsion et de la subordination du peuple  ». Pour les habitants, construire un aéroport sur l’ancien réservoir d’eau de Texcoco ne ferait qu’augmenter dramatiquement les déséquilibres écologiques de cette zone. L’aéroport détruirait les quelques lacs servant de refuge à une population d’oiseaux estimée entre 100 000 à 300 000 spécimens selon la saison. Ce projet ne bénéficierait qu’à des entreprises nationales ou multinationales qui suivent un plan d’intégration économique dans toute l’Amérique Centrale (Plan Puebla Panama), ainsi qu’aux intérêts du capital financier (FMI, Banque mondiale, etc.).
Le Front refuse l’aéroport, qui «  n’est rien d’autre qu’une nouvelle forme de conquête, une nouvelle invasion qui se cache derrière les noms de progrès et de modernité   ». Pendant plus de dix mois, la lutte est acharnée, machette «  pacifique  » en main. La répression est sévère. Le 24 juillet, un manifestant, José Enrique Espinoza Juarez, meurt de ses blessures causées par les violences policières.
Le 2 août 2002, le gouvernement abroge finalement le décret d’expropriation et annule le projet d’aéroport. Durant les quatre années qui suivent cette victoire, le FPDT reste mobilisé et solidaire d’autres luttes. En mai 2006, le Front soutient des fleuristes en lutte à Texcoco. Le 4 mai, 3500 éléments des forces de police et militaires encerclent le village d’Atenco et bloquent les accès au village. Commence une répression sanglante. Environ deux cents personnes sont arrêtées ce jour-là, de nombreuses personnes blessées dont certaines gravement, et une trentaine de femmes violées. La police fait un nouveau mort  : Alexis Benhumea, un jeune de 21 ans tué par une grenade lacrymogène. Quatre ans plus tard, douze personnes sont toujours incarcérées, avec des peines de 31 à 112 ans de prison, et une personne reste sous la menace d’un mandat d’arrêt. Été 2010, à l’issue d’une campagne de solidarité internationale, la Cour suprême de justice statue. À l’encontre des douze personnes encore emprisonnées, des preuves illégales ont été employées pour essayer de les accuser d’un délit qu’elles n’ont pas commis. Elles sont aujourd’hui libres.

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